Orties bio textiles pour supplanter avantageusement le coton
Les substances textiles ont, dans l’industrie française, un rôle des plus importants, nous explique-t-il, ajoutant que, malheureusement, l’agriculture est incapable jusqu’à ce jour de fournir à nos fabriques de tissus la totalité des matières premières nécessaires à leur travail. En 1879, par exemple, l’importation s’en est élevée à 950 millions de francs, près d’un milliard.
On trouve ces qualités dans plusieurs espèces d’orties, dont les deux principales sont l’Ortie de Chine (Urtica nivea) et la Ramie (Urtica utilis, Urtica tenacissima). Les orties textiles sont vivaces comme celles de nos pays ; circonstance favorable, car elle évite la peine de les semer chaque année, ainsi qu’on est obligé de le faire pour le lin ou le chanvre. Quelques botanistes en font un genre particulier, le genre Boehmeria, parce qu’elles sont dépourvues de dards, ce qui en rend le maniement facile.
L’ortie de Chine ou ortie blanche appartient aux climats tempérés et convient, par conséquent, à la plus grande partie de la France : elle pousse très vigoureusement et peut donner deux et même trois coupes dans une année. La ramie, originaire des îles de la Sonde, se cultive à Java, à Sumatra et dans les provinces méridionales de la Chine. On pourrait l’acclimater dans le midi de la France. Sa puissance de végétation est encore supérieure à celle de l’ortie blanche, et l’on en tire souvent quatre récoltes par an. Il paraît, en outre, que ses feuilles nourrissent un ver particulier qui donne une fort belle soie.
Les fibres textiles des orties sont fort longs (plus de 50 centimètres), et d’une ténacité telle qu’un fil d’ortie de la grosseur d’un fil à coudre ordinaire ne peut être cassé à la main. Elles sont remarquables par un éclat et un brillant qui donnent aux tissus en fil d’ortie l’apparence d’étoffes de soie. Beaucoup de voyageurs ont pris en effet pour des vêtements de soie les robes inusables que les Chinois se transmettent en héritage, et qu’ils fabriquent avec l’ortie. Cette différence semble avoir été connue des anciens : Pline dit, en effet, qu’il faut distinguer le vêtement de soie (vestis bombycina), fabriqué avec la matière produite par le bombyx du mûrier, et celui qui est lissé avec des fils provenant d’un arbre de l’Inde et qu’on appelle vestis serica.
La culture des orties textiles ne présente aucune difficulté. Elles se multiplient très aisément par le semis, par le bouturage ou le marcottage, par la division des pieds, et surtout par la section des racines souterraines ou rhizomes en morceaux de 4 à 5 centimètres de long. Bien qu’elles exigent des climats différents, l’ortie blanche et la ramie préfèrent les terres légères, mais riches, fraîches sans être marécageuses. Un léger ombrage leur est favorable. Résistant très bien à la sécheresse, elles acquièrent par des irrigations une taille plus considérable.
L’utilisation des orties textiles présentait une difficulté sérieuse : c’était l’extraction des fibres et leur séparation des autres parties de la tige. Les procédés purement manuels dont les Malais et les Chinois font usage ne peuvent être appliqués en Europe, à cause du prix élevé de la main d’oeuvre. Le rouissage, tel qu’on le pratique pour le lin et le chanvre, est une opération malsaine : elle produit des émanations pestilentielles et doit être bannie de l’industrie. Elle a d’ailleurs le défaut d’altérer les fibres, quand elle n’est pas conduite avec le plus grand soin. La décortication des tiges d’ortie peut, il est vrai, se faire par des procédés mécaniques, sans rouissage préalable, à la condition que les tiges aient été desséchées. Mais ce résultat ne saurait être obtenu en toute saison : il faut pour cela des conditions climatiques spéciales ; et l’on s’exposerait à voir pourrir une récolte, faute d’un temps favorable à sa dessiccation. Aussi le gouvernement des Indes anglaises a-t-il offert une prime de 125 000 francs pour la meilleure machine ou le meilleur procédé de traitement, à l’état vert, des tiges de ramie.
Le problème est aujourd’hui résolu : Les tiges de ramie nouvellement récoltées sont soumises en vases clos, dans des caisses en bois par exemple, à l’action de la vapeur ou de l’air chaud. Au bout de quelques minutes, la chènevotte se sépare avec la plus grande facilité de la couche corticale contenant toutes les fibres utilisables. L’écorce s’enlève par lanières exemptes de tout débris ligneux, et, d’un autre côté, aucune parcelle de filasse ne reste sur la chènevotte.
Ce mode de traitement a été découvert par M. A. Favier, ancien élève de l’école polytechnique. Grâce aux travaux de M. Frémy, l’opération peut être complétée : ce savant a trouvé le moyen de débarrasser les lanières d’écorce du ciment végétal qui les empâte, et par conséquent d’isoler, de dégommer et de blanchir les fibres d’ortie, de façon à les obtenir dans toute leur longueur, avec toute leur solidité et leur éclat. On peut ensuite en faire des fils ou des cordages, les tisser ou les teindre, les employer à la fabrication du plus beau linge de table et de corps, ou bien en confectionner de magnifiques étoffes, pour les vêtements et l’ameublement.
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